Le cheval que je chevauche a son indépendance : enlevez-lui les sangles, le mors et tous les jougs superflus qui le contraignent, cette noble créature devient son propre couturier, et son propre tisserand et fileur ; et en outre son propre bottier, joaillier et chapelier ?…? Tandis que moi, juste Ciel ! Je suis recouvert de laine de moutons, d’écorces végétales, d’entrailles de vers, de cuirs, de peaux de phoque, de fourrures animales ; et je me présente dans le monde avec ces hardes pour me dissimuler, enseveli sous des guenilles et des loques soustraits au Charnier de la Nature, où ils auraient pourri, tandis qu’ils pourrissent plus lentement sur moi ! Jour après jour, je dois toujours et encore me recouvrir ; jour après jour, ce misérable camouflage perd nécessairement une couche de son épaisseur ; il faut se débarrasser de telle partie, effilochée et usée, dans l’Âtre ou à la Décharge ; et ainsi de site, par étapes, jusqu’à ce qu’il ait fallu se débarrasser de tout et que je me procure, moi, le saccageur de hardes, d’autres hardes à saccager.
Thomas Carlyle, Sartor Resartus.