Ce matin l’herbe était blanche de givre, jusqu’à la mer, pâle.
Je me suis demandé ce que ça donnerait à la pointe des corbeaux.
Là bas, tout est un peu exagéré.
Corbeaux c’est à cause des rochers, noirs et hérissés. Des saletés qui vous fendent le pied d’un coup d’arête, pire qu’un coup bec.
Une vraie vacherie quand on n’a que ses pieds pour pas crever.
C’était marée rien, ni haute ni basse, pas vraiment de courant, l’eau somnolente, molle, en attendant que ça se lève. Elle parait chaude quand il fait froid à ce point, j’ai bien pensé faire un peu de toilette, mais le sable était dur, du ciment glacé, difficile après, pour sécher.
Ni vent ni soleil, un ciel de rien, comme la marée, et rien d’autre à faire que regarder la mer.
Attendre avec elle.
C’est les mouettes qui m’ont chassé. Toujours à pleurer, j’ai plus la patience de les écouter.
Elles craignent pourtant pas le froid, elles. Sont habituées.
Avant on discutait.
Mais plus maintenant. Je suis fatigué, il faut tout leur répéter, j’ai préféré y aller.
La mer je la connais, je passe mon temps à la regarder.
Et puis on était mardi, jour de marché.
Il y a moins de cageots qu’avant, ils les gardent maintenant.
Dans un sens c’est mieux, ça gaspille pas.
Dans un autre, c’est dur, toujours à courir pour allumer son feu.
J’ai récupéré un quart de potiron pas trop abîmé, un demi chou, un radis noir, j’aurai ma soupe. Manquait plus qu’à trouver une poignée de coques dans le sable.
Si j’ai pas trop mal aux mains.
Le soleil a donné entre deux et quatre, sans conviction.
Depuis des jours on a ce temps, sale, amer, étriqué de froid, à pas mettre un animal dehors, une grisaille acide qui vous scie le moral.
Je suis passé à la jetée, ils ont mis le Kerdonis en calle sèche. Trop vieux pour continuer, les marins avec. J’ai pensé à mon vieil Aurore de Breitz.
À trois heures c’était marée basse.
C’est rare ici que le ciel s’éclaire pas à la renverse.
Il est resté gris terne, comme un dos de coquillage usé, pas franc, de toute la journée, même le soleil semblait épuisé tellement il était congelé.
Dans un mois, les jours auront rallongés.
Dans un mois.
On aura le temps de profiter, de chaque marée.
Après ce sera l’été et ses difficultés.
Les gens partout, sur les plages, tous nus à vous reluquer.
Les bancs occupés par des vieux à l’œil poissonneux.
Y a que les enfants qui donnent envie d’été, mais ça ne dure pas, toujours un pour leur apprendre à se méfier.
Et je te mets de la crème à bronzer.
Le soleil n’a même pas eu le courage de descendre jusqu’à la mer.
Il s’est noyé dans une de brume épaisse, comme une fumée, il a disparu avant l’heure, sans rien enflammer, comme s’il n’avait jamais existé.
J’ai pris par le Men Du, la brume s’est posée sur l’eau, ça commençait à vraiment piquer, pourtant c’était à peine six heures, j’ai pris à droite, il y avait de la lumière au Super U.
Alors j’y suis entré.